Observez attentivement la reproduction ci-dessous de l'œuvre, décrivez-la avec précision, et proposez une interprétation de ce que vous y voyez :
Voir Ambrogio LORENZETTI, Annonciation, 1344.
La compréhension de cette œuvre demande pour commencer de connaître les textes qu'elle met en image, ainsi que les codes picturaux de leur représentation :
1. La parole du messager, l’archange Gabriel, trace un axe, qui va de sa bouche à la gorge de Marie.
2. Cette dernière est tournée vers Dieu et s'adresse à lui pour l’accueillir.
3. L'esprit saint descend jusqu’à son oreille (référence à l'hymne de St Ephrem, selon lequel c’est "par l’oreille et non par l’utérus" que la parole divine s’incarne en Marie), sous la forme de la colombe.
4. L’archange Gabriel, par ce que Daniel Arrasse (Histoires de peintures, Denoël, 2004) nomme le "geste de l’auto-stoppeur" envoie le signal que l’esprit saint peut être accueilli.
5. Ce que la parole annonce se réalise alors dans la colonne, qui allie le ciel et la terre dans la figure du Christ "Columna est Christus".
Les deux axes de la parole de l’annonciation, et de l’incarnation, dessinent une croix (matérialisation du Christ) ; l’incarnation en elle-même dessine un triangle (matérialisation de la trinité).
À ces éléments de reconnaissance textuelle et de codification de la représentation s'ajoute toute la dimension symbolique de l'œuvre, à laquelle participent :
- L'usage de la représentation en perspective, permise par le dessin des carreaux du sol qui convergent vers un point de fuite. Cela permet le chevauchement entre ce qui est au premier plan et ce qui passe derrière, non dans l'intention de créer une illusion visuelle réaliste, mais pour matérialiser l'importance de ce qui est représenté. Ainsi, le texte écrit sur l'axe de la parole de l'archange ne se chevauche pas avec la colonne, alors que celle-ci nous cache un morceau de la robe de la Vierge : placée au premier plan, la colonne est en réalité LE sujet de l'œuvre, c'est pourquoi la scène représentant l'archange et Marie se situe derrière elle. Pour autant, peinte dans le même jaune d'or que le fond de la toile, elle se fond avec lui sur sa partie haute, étant à la fois devant et derrière, bref : partout.
- Les gestes. Par exemple, les mains croisées sur la poitrine de Marie sont à interpréter comme un signe d'accueil, comme en témoignent ses paroles prononcées vers Dieu écrites en lettres d'or sur le fond doré "Ecce ancilla domini" ; sa posture solidement assise, préfigure son trône céleste.
- Les objets. Par exemple, la palme, que l'archange Gabriel tient dans sa main gauche, est très originale pour un tableau d'annonciation : elle symbolise le martyr, annonçant la crucifixion en même temps que l'incarnation. De la sorte, l'artiste produit une interprétation théologique de l'annonciation, en représentant l'incarnation en même temps que sa destination (ouvrir la voie du salut des hommes). Un autre exemple surprenant est la boucle que Marie porte à son oreille gauche, qui n'est en rien un accessoire de mode, mais symbolise ici la judéité de Marie, encore soumise à la loi mosaïque. Enfin, le livre encore ouvert, déposé sur ses genoux, est celui de l'Ancien Testament, qui annonce déjà par les prophètes l'épisode représenté ici, avec une mise en abîme du texte dans le texte.
- Les couleurs. Ainsi, le bleu de la robe de Marie en symbolise ici la virginité. Cette tradition picturale tire son origine du fait que les pigments de lapis lazuli, nécessaire à la réalisation de la peinture bleue, sont les plus rares, plus chers encore que les pigments dorés. De même, le blanc de la colombe de l'esprit saint, est traditionnellement un symbole de pureté, si bien que dans certaines peintures où il ne nous semble pas voir la vierge, elle est en réalité bien représentée, sous la forme d'un lys blanc. Dans les œuvres où ces fleurs de lys blanc apparaissent dans un jardin clos ceint de murs (hortus conclusus), on a même alors affaire à une double représentation symbolique de la virginité.
Bref, pour ces quelques éléments, nous voyons combien l'art iconographique mobilise tout un alphabet, dont la connaissance est nécessaire pour accéder au sens de l'œuvre, même lorsque celle-ci ne nous en montre que l'épure.